L'acte immersif permet aux spectateurs de se plonger dans le milieu, le monde, l’univers, l’imagination de celui qui les crée.
Plonger dans l’oeuvre de Carlos Sablón, c’est en premier lieu, s’exalter et s’extasier devant la beauté et la magnificence d’une peinture que l’on pensait disparue. En effet, son langage esthétique répond à une volonté de rendre hommage à la peinture européenne des XVIe siècle et XVIIe siècle. On en peut s’empêcher de penser à Raphaël, à Rubens, à Van Eyck et à encore bien d’autres, tant le choix des couleurs, la précision du trait, le souci du détail et le travail pictural sont en corrélation avec cette volonté maniériste de célébrer les grands maîtres de la peinture.
Mais si on laisse le regard s’attarder plus longuement sur ces portraits, sur ces femmes, on s’aperçoit que le langage plastique de Carlos Sablón va plus loin que le simple hommage…
Lorsque l’on prête plus d’attention à ces figures, nous sommes véritablement amenés à faire un voyage initiatique à travers les origines, les choix, les peines, les interrogations, les contestations du peintre. Cette immersion est aussi une proclamation de l’identité même du créateur.
La notion d’identité, issue plus particulièrement de la sociologie et de la psychanalyse, s’entend comme un ensemble de données, conscientes ou non, valorisées ou pas, qui permet à un individu à la fois de se construire mais aussi de se différencier face aux autres. L’univers de Carlos Sablón renferme ainsi une affirmation identitaire forte et assumée.
Cette identité passe d’abord par le choix de la matière. N’oublions pas que Carlos est un peintre de culture américaine. L’utilisation de l’acrylique n’est pas anodine. Elle est ainsi pour lui une signature, un caractère qui lui est propre. De cette affirmation identitaire nait encore l’expression de ses interrogations sur ses origines mais aussi sur les origines du monde, des mythes et de l’imaginaire vu comme commun. Ainsi le couple que forme Le Réveil et Les filles d’Enlil, nous évoque à la fois les dieux des cieux de la mythologie mais également la place de l’homme et de la femme, de leur puissance, de leur pouvoir, de leur amour dans ce monde. Il faut y voir ici une quête identitaire personnelle mais aussi universelle sur la genèse de ce monde et sur nos croyances.
A l’instar du fait religieux, le fait politique, qui peuvent d’ailleurs se confondre dans un même sujet, comme dans Sophia ou Le Duel, tient une place centrale dans l’oeuvre de Carlos, qui se veut éminemment contestataire. Chantre de l’image, qui raconte, satire, dénonce ou glorifie, Carlos nous montre des oeuvres désinvoltes et perturbatrices pour celui qui veut lire entre les lignes. Ainsi Le Général dans son labyrinthe fait délibérément référence tout autant à la figure de Napoléon qu’à celle de Castro et de son réemploi du personnage historique, ici dans une posture avec plein de mordant. En parallèle, l’autoportrait Le bon copain est une critique satirique du régime castriste tout en étant un éloge de sa patrie dans un élan libertaire, patriotique et nationaliste, au sens noble.
L’oeuvre de Carlos Sablón est ainsi une profonde recherche sur le Moi, en tant qu’artiste libre, attisé par un existentialisme exacerbé à travers le « Réalisme magique ».
Mais au-delà du « Réalisme magique », c’est le fantastique réel que nous peint Carlos. «Fantastique » s’élargit ici en rêve, en mysticisme, en croyance, « réel » renvoie à la vie, à sa vie, mais aussi au souci du détail observé par un oeil de peintre, à l’histoire de chacun, qui ancre cet univers fantastique dans le réel dans son réel. L’ensemble se confond ainsi dans les deux registres qui servent à définir l’âme de Carlos.
Laissez-vous aller dans son univers.
Immergez-vous dans sa quête identitaire.
Car en pleine maturité, Carlos atteint ici sa fantastique réalité.
Florian Corbier
Historien d’Art